C'est une vrai prouesse de faire un article sur la perception culturelle du léchage, lécher, lèche. Qu'est-ce qui fait que cette action qui est un réflexe originel archaïque, qui demeure un acte essentiel chez tous les animaux pourvus d'une langue, soit devenu un grand refoulé chez l'homme moderne.
Serais-ce notre morale judéo-chrétienne dans laquelle le péché originel vient de la bouche?
Genèse 2.16: Et Yahve Dieu, fit à l'homme ce commandement: «Tu peux manger de tous les arbres du jardin.
Genèse 2.17: Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort.»
Genèse 2.25: Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et n'avaient pas honte l'un devant l'autre.
Genèse 3. 6: La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.
Genèse 3.7: Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus , ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.
Un autre texte biblique est significatif est s'applique au laqaq qui en hébreux signifie lécher, lapper:
Gédéon fit descendre le peuple au bord de l'eau et l'Eternel dit à Gédéon: «Tous ceux qui laperont l'eau avec la langue comme le ferait un chien, tu les sépareras de tous ceux qui se mettront à genoux pour boire.»
Ceux qui lapèrent l'eau en la portant à la bouche avec leur main furent au nombre de 300, et tout le reste du peuple se mit à genoux pour boire.
L'Eternel dit alors à Gédéon: «C'est par les 300 hommes qui ont lapé l’eau que je vous sauverai et que je livrerai Madian entre tes mains. Que tout le reste du peuple reparte, chacun chez soi.»
Et le seigneur a dit : En ce lieu où les chiens ont léché le sang de Naboth, ils lécheront ton sang
Foutre, ça fout les boules.
Ou bien nos manuels de civilité refoulent le lécher : on ne lèche pas ses doigts, on ne lèche pas son assiette et si on ne sent pas le cul des femmes on ne les lèche pas.
Ou encore la psychanalyse qui ne tolère le stade oral que pour les premiers mois de l'enfant. La bouche devient ensuite la voie noble du language.
Alors que la léchage chez l'animal permet de communiquer, se nettoyer, s'humidifier, se soigner, découvrir, chez l'homme civilisé il disparait.
On pourrais croire que François Villon en rajoute qui plaint le temps de la jeunesse, jeunesse qui n'est qu'abus et ignorance,
Si ne crains avoir despendu
Par friander ne par leschier ;
Leschier ici voudrait dire gueuletonner.
Et pourtant il nous reste deux expressions positives :
lécher l'ours (vous connaissez plutôt l'ours mal léché).
Dans le Tiers-Livre, Rabelais : Comme un ours naissant n'a pieds ne mains, peau, poil ne teste : ce n'est qu'une pièce de chair rude et informe. L'ourse, à force de leicher, la mect en perfection de membres.
Comme cette citation était prononcé par le juge Bridoye, l'expression est restée pour les juges qui prennent du temps à rendre leur verdict.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours ?
La Fontaine Les Frelons et les mouches à miel
Et puis l'animalesque se lécher les babines, voire se pourlécher les babines. Il n'y a pas de mal à se montrer que l'on est content.